Pour les occidentaux que nous sommes, unir nos polarités à l’instar du Yin et du Yang dans le taoïsme oriental, c’est réviser notre perception du féminin et du masculin.

Dans la pensée chinoise, l’homme est placé ainsi : debout, vertical, entre ciel et terre. C’est ainsi que le paysan chinois se situe lorsqu’il sort de chez lui le matin : Il sent le sol sur lequel il s’appuie : il est compact, ferme, solide, stable et limité, il peut le toucher, Puis tout en continuant d’observer le monde autour de lui, il voit le ciel au-dessus de lui, qu’il ne peut toucher, qui bouge et change tout le temps et qui n’a pas de limite.

L’homme chinois se sent exactement au milieu de ces deux éléments, il se sent au centre de ces deux univers. Il en perçoit l’agencement ordonné qui y règne : la saison : l’hiver, l’été, le froid, le chaud ; le moment : matin, soir, la clarté, la pénombre. Si le matin de notre exemple est un matin d’hiver, le paysan chinois rentrera naturellement à l’intérieur de sa maison. Intérieur, extérieur, chaud, froid, clarté, pénombre, cette bipolarité énergétique est le fondement de la pensée chinoise qui la conjugue en termes de Yin et de Yang.

Nous commençons à en avoir entendu parler, nous autres, occidentaux. Le Grand dictionnaire Ricci de la langue chinoise nous dit : « Le Yin est l’ubac, un ciel nuageux, l’ombrage, un revers, ce qui est caché ou secret, c’est le principe féminin, passif qui, en s’unifiant avec le Yang, donne naissance aux êtres, les conserve et se trouve en eux pour les constituer ». « Le Yang est l’adret, le soleil, ce qui est clair ou brillant, c’est le principe mâle, actif, vivifiant qui, en s’unissant et s’opposant au Yin, donne naissance aux êtres, les fait croître et se trouve en eux pour les constituer ».

Passif, actif, féminin, masculin... Nous avons tôt fait de poser Yin et Yang comme deux potiches sur une cheminée. Sous la bannière Yin nous mettons le féminin, la réceptivité, l’accueil, l’intériorisation, la souplesse, etc. Sous celle du Yang le masculin, la créativité, l’action, l’extériorisation, la fermeté etc. À l’évidence alors, Yin et Yang ne se rencontrent pas. Ils sont mis en opposition chacun sur son propre versant de montagne. Or dans la pensée chinoise et le taoïsme, cela ne fonctionne pas de cette façon.

Dans la pensée chinoise, ces deux énergies fondamentales sont mises en mouvement, elles se rencontrent dans le mouvement circulaire merveilleusement représenté par le schéma du Taiji, appelé aussi le schéma du grand retournement. Alors, comme une balle que l’on lance en l’air qui monte, monte de plus en plus vers le haut (Yang) mais qui en même temps va ralentir (Yin) jusqu’au moment où l’énergie Yang totalement épuisée passe le relais à celle du Yin et où la balle se met à redescendre vers la terre (Yin). Puis elle va rebondir, remonter vers le ciel (Yang) en perdant de la vitesse (Yin)... Et ainsi de suite.

Yin et Yang sont réunis, l’opposition devient complémentarité dans le mouvement.

Le Yi Jing, le grand livre du Yin et du Yang, nous invite à cette réunion au travers de l’étude de ses 64 hexagrammes. Le développement des deux premières figures du livre (le Créatif et le Réceptif ou le grand YANG et le grand YIN) le montre. Chacun des six traits de l’hexagramme est une étape qui décrit tel ou tel aspect de la polarité selon le stade de maturation atteint. Le Yin est un mouvement de « resserrement », le Yang d' « expansion ». L’un donne « la disponibilité à se conformer », l’autre « la persévérance à aller de l’avant ». Dans le Yi Jing le Yang dit « rigide » c’est le « pareil à soi-même » ; le Yin dit « souple » c’est « l’ouverture à la différence ». Le Yin c’est la réserve, la retenue, l’altérité, l’écoute, l’adaptabilité et la patience, la disponibilité et l’attention à l’entourage. Le yang, l’affirmation de soi, l’intégrité, la conquête de l’entièreté.

Au bout du compte, la leçon est la suivante : le Yang n’est pas domination mais affirmation de soi, le Yin n’est pas soumission mais relation à l’autre. Et cette leçon est mise en exergue tout au long du livre et de ses hexagrammes.

Mais la plus grande sagesse de l’oracle est de toujours observer l’équilibre, l’état magique où Yin et Yang s’équilibrent dans la situation envisagée. Qui dit équilibre ne veut pas dire égalité. Selon la qualité du moment, de la situation, Yin et Yang prennent plus ou moins le pouvoir. Et ce moment-là est en perpétuel changement comme la balle que nous lancions tout à l’heure. L’idéogramme YI définissant le livre a 3 sens : le premier est « le changement, la transformation ». Le deuxième sens dérivé est « facile, simple, naturel ». Le troisième signifie « loi fixe ». Ce paradoxe est expliqué par le Yi Jing lui-même où il est dit « que la seule chose qui ne change pas est que tout change en tout temps ».

Le livre des changements nous amène à constater l’agencement momentané du Yin et du Yang, à comprendre sa dynamique, à anticiper son évolution pour y adapter notre attitude de manière féconde.

À nous de savoir écouter le conseil...

Si l’on se tourne maintenant vers la psychologie occidentale, on constate que des rapprochements ont été effectués avec cette polarité fondamentale de la pensée chinoise.

C.G. Jung a notamment créé les notions d’anima et d’animus qu’il a mises en rapport avec celles de Yin et Yang. Ces termes ayant été forgés pour conduire l’homme vers son individuation (développer et mener à maturation son être propre, en intégrant une plus grande part de sa personnalité inconsciente dans sa vie active et consciente. Notions qui renvoient à la réalisation du Soi). « L’anima se définit comme nature féminine de l’inconscient de l’homme, tandis que l’animus est considéré comme la nature masculine de l’inconscient féminin ».

Placées dans l’inconscient, ces figures agissent sur nous et sur nos comportements, générant des attitudes limitatives ou constructives en fonction de leurs aspects positifs ou négatifs.

L’animus chez la femme, caractérisé par la rationalité, l’intellectualité, l’indépendance, développe dans son aspect positif des attitudes de courage, de détermination, d’action et dans son aspect négatif, des attitudes autoritaire, têtue ou infantile.

L’anima chez l’homme, quant à elle, se caractérise par la sensibilité, l’émotivité, l’intuition. Dans son aspect positif, elle développe l’intériorité, l’adaptabilité, la réceptivité. Dans son aspect négatif, l’irritabilité, la méfiance, des attitudes vindicatives et tyranniques.

Unir nos polarités

Jung et le Yi Jing affirment ainsi la présence du féminin au cœur du masculin et inversement.

Le travail de l’individuation, consiste à amener à la conscience l’animus, l’anima, enfouis dans l’inconscient. Or, nos rêves regorgent chaque nuit de symboles représentant ces archétypes. À nous de les décrypter pour réunir nos deux pôles dans la conscience afin de pouvoir interagir sur nos attitudes dans notre vie quotidienne.

Et à nous aussi, d’interroger le vieil oracle chinois dans chaque situation problématique ou non de notre quotidien pour en saisir l’état de nos polarités afin de les réunir, de les harmoniser dans un mouvement générateur d’énergie.

Par exemple, si je rêve que je suis en bateau et que le gouvernail ou le mât de mon bateau est cassé, m’obligeant à tourner en rond indéfiniment, je peux regarder où et comment, dans ma vie présente, un aspect de mon animus me fait défaut. Comment j’ai construit à l’intérieur de moi un animus qui ne sait jamais quelle direction prendre.

Par contre, si je rêve que je suis un pompier sauvant des vies dans un indendie, je peux me dire qu’actuellement mon animus me soutient de bonne façon dans mon entreprise présente.

Si je suis un homme et que je rêve que je retrouve le lac de mon enfance asséché, transformé en un marécage débordant de poissons morts, je peux chercher où dans ma vie actuelle, j’ai abandonné mon féminin, où je m’en suis détourné.

Maintenant, si j’interroge le Yi Jing en lui demandant de m’aider à retrouver ma direction en utilisant mon pôle masculin positif, et que le tirage me donne l’hexagramme 7, L’ARMÉE, je vais entendre que le moment est venu de me discipliner, de me mobiliser, de rassembler mes forces Yin autour d’un chef qui combat non plus pour son individualité mais au profit d’un objectif commun unique. L’animus négatif, conscientisé, va pouvoir de cette façon se mettre à nouveau au service de mon féminin.

Si je suis l’homme au lac intérieur desséché, et que je demande une attitude constructive pour m’aider et si je tire l’hexagramme 31 INCITER, je peux me dire qu’apprendre à vivre les émotions qui me traversent sans en être déstabilisé, déclenche des résonances positives et dynamiques et au bout du compte fécondes. J’ai pris conscience d’une des attitudes limitatives de mon anima qui me faisait refuser toute implication émotionnelle.

Alors, l’homme est bien debout entre ciel et terre.

« Il suit la vie de l’univers comme un échange d’influx entre le ciel et la terre. Toute vie particulière n’en est qu’un aspect, un moment. L’homme « couvé par le Ciel » est « porté par la Terre ». Le Ciel /Terre est sa mère qui l’engendre et le nourrit ». (Extrait de 'Aperçus de la médecine chinoise ». Dr Schatz, Claude Larre, Elizabeth Rochat de la Vallée)

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